Charles Russell (1864-1926)


L'alchimiste qui transformait les maux de l'Ouest en icônes


Bien que surnommé "The cow-boy artist", Charles Marion Russell a réalisé trois fois plus de tableaux mettant en scène des Indiens que des cow-boys. En les identifiant à des preux chevaliers sur le point de disparaître, il en a donné une vision romantique, mais empreinte d'humanité, tout en préservant leur caractère authentique. Car, il fut l'un des premiers artistes américains à s'établir dans l'Ouest.

Paradoxalement, c'est parce qu'il juge les visions de son fils sur le Far-West trop romanesques, que le père de Charles Russell lui offre un voyage au Montana, en 1880, pour son seizième anniversaire. C'est en dévorant les écrits de George Catlin (1796-1872) sur les coutumes des Indiens, illustrés par des oeuvres de sa galerie amérindienne et d'objets lui ayant appartenu, que l'adolescent se prend de passion pour l'Ouest. Il est notamment sensible à ses propos, sur la disparition programmée des Natives Americans, qui jusqu'ici vivaient en liberté, au coeur d'une nature préservée. « Leur Dieu était le soleil, leur église était à ciel ouvert, leur unique livre était la nature et ils en connaissaient toutes les pages », écrira Russell, en 1915, sur un exemplaire du livre « The Fighting Cheyennes » de George Bird Grinnell. Un historien et naturaliste ayant milité pour la préservation du bison en Amérique.

La révélation du Montana

Fils d'un commerçant en bois et charbon, Charles Marion Russell voit le jour, en 1864, à Saint-Louis, à la confluence des fleuves Mississippi et Missouri. A l'époque, c'est le point de départ de tous les voyages vers les territoires de l'Ouest. Pour un enfant dessinant de manière autodidacte, comme le jeune Russell, c'est le lieu d'observation idéal des allées et venues des trappeurs et autres explorateurs. Ayant appris à monter à cheval avec un colonel de l'armée, membre de sa famille, l'adolescent, très peu attiré par les études, est donc tout heureux, quand son père lui annonce qu'il l'envoie travailler au Montana, dans le ranch d'un de ses amis éleveur de moutons. Pour le jeune homme, c'est une révélation. Même si les tâches qui lui sont confiées sont peu gratifiantes et le rebutent quelque peu, il ne revient que rarement dans sa famille. Sa rencontre avec Jack Hoover, un chasseur et trappeur devenu rancher, est déterminante. Durant deux ans, celui-ci apprend au jeune homme les rudiments de la vie dans l'Ouest. A partir de ce moment, le Montana devient alors la patrie d'adoption du futur peintre. Travaillant comme wrangler, gardien de chevaux de nuit, Charles Russell a la responsabilité de trois cents montures. Une expérience du terrain qui va durablement nourrir ses oeuvres futures.

Les premières aquarelles

Alors que Charles Russell travaille dans un ranch, tout en réalisant quelques peintures pour ses collègues vachers, le contremaître reçoit une lettre du propriétaire lui demandant comment le bétail a supporté l'hiver. En guise de réponse, l'employé lui envoie une aquarelle de Russell, de la taille d'une carte postale, montrant un jeune bœuf décharné, cerné par des loups, sous un ciel menaçant. Le rancher montre l'oeuvre à ses amis et relations d'affaires et l'expose même dans la vitrine d'un magasin d'Helena, la capitale du Montana. A partir de ce moment-là, la carrière d'artiste de Russell est lancée, de même que sa légende. En effet, durant l'hiver 1888-1889, alors qu'il n'a que 24 ans, on dit qu'il aurait vécu sous la tente, au coeur d'une réserve de la province de l'Alberta, dans l'Ouest canadien, aux côtés des membres de la tribu Blood, de la nation Blackfeet. Sa connaissance des mœurs et coutumes indiennes viendrait de cette expérience personnelle. Rien n'est moins sûr. Même si Russell s'est toujours bien gardé de le démentir. En 1890, une quinzaine de ses premières toiles sont reproduites dans un recueil d'études sur la vie dans l'Ouest et une banque lui passe commande d'un décor. Mais, ce n'est que six ans plus tard que notre cow-boy aguerri devient un artiste à part entière, en se consacrant totalement à la peinture.

Un agent artistique redoutable

En 1896, alors qu'il a dépassé la trentaine, Charles Russell épouse Nancy Cooper, de quinze ans sa cadette. Le couple s'installe à Great Falls, dans le nord du Montana, où l'artiste va passer le reste de sa vie. A l'époque, une ville en pleine expansion, en raison du profit tiré de l'énergie hydraulique fournie, à proximité, par cinq chutes d'eau sur le fleuve Missouri. Comme Russell n'est pas très doué pour faire la publicité de son travail, c'est son épouse Nancy qui s'en charge, devenant l'agent artistique de son mari, en l'incitant à créer un atelier et à trouver des commandes. C'est elle qui fait de lui un artiste mondialement connu, en organisant des expositions, à travers les Etats-Unis, ainsi qu'à Londres, accroissant ainsi sa popularité. Mais, c'est une redoutable femme d'affaires, négociant les contrats, pour la reproduction de ses œuvres sur les calendriers et veillant à ce que ses toiles ne se vendent pas au-dessous d'un certain prix, que Russell, lui-même, juge extravagant. Nancy Cooper lui servira également de modèle. Notamment, pour le fameux tableau Keoma, censé représenter une Indienne.

Ses débuts de sculpteur

Comme le faisait avant lui un autre peintre de l'Ouest, Charles Schreyvogel (voir American Legend N°10), Russell modèle des figurines en terre pour composer ses tableaux. Car, contrairement à la plupart des peintres européens de l'époque, il ne réalise pas d'esquisses préparatoires et n'a pas recours à des modèles vivants. « Je ne vois pas comment un Hollandais ou un Français pourrait m'apprendre à peindre des éléments de mon propre pays », se plaît-il à répéter. C'est donc, tout naturellement que Russell se met à pratiquer la sculpture, à partir de 1903, et expose sa première œuvre du genre, « Smoking Up », à New-York, l'année suivante. Notre « cow-boy artist » fait preuve de sa parfaite connaissance des postures des cavaliers en action et de la morphologie des animaux en mouvement, notamment chevaux et bisons, qu'il reproduit à merveille. De plus, l'impressionnante collection d'objets et de vêtements amérindiens et cow-boys, qu'il a réunie dans son atelier de Great Falls (Montana), lui permet d'être particulièrement fidèle dans leur représentation.
L'avènement de la notoriété

Après la disparition du plus grand « western artist » de l'époque, Frederic Remington, en 1909, Charles Russell est considéré comme le plus grand illustrateur et chroniqueur du vieil Ouest. Il accède à la notoriété à un moment où la conquête du Far-West est déjà popularisée de multiples manières : à travers les « dime novels », des romans bon marché, mais aussi le « Wild West Show », spectacle équestre itinérant de Buffalo Bill. Et, depuis peu, grâce aux premiers westerns du cinéma muet. Au point que leurs acteurs - William Hart, Harry Carey ou Douglas Fairbanks - et leurs réalisateurs apprécient le travail de Russell. En 1912, ce dernier exécute un grand décor mural (Lewis and Clark Meeting the Flathead Indians at Ross Hole) pour la Montana State House of Representatives. La même année, il expose au Canada. L'année suivante, à Londres, puis à Chicago, New York, San Francisco, Pittsburgh, entre 1914 et 1916. L'adoption d'un fils par le couple Russell, cette année-là, incite l'artiste à faire une pause de trois ans.

Russell et les Indiens

Si Russell continue de peindre de violents combats d'armes à feu, des chasses à l'ours et des broncos désarçonnant leurs cavaliers, c'est surtout pour le business. Les peintures qu'il préfère désormais sont plus contemplatives : squaws, enfants et vieillards sur la piste des chasseurs de bisons, cavaliers chevauchant sous la neige ou à l'arrêt près d'un point d'eau, des Indiens chantant au coucher du soleil. Car, même s'il connaît les défauts des Natives Americans, notamment, leur entêtement, il sait aussi combien ils ont été maltraités et n'hésite pas à le clamer, haut et fort. « L'homme blanc s'accapare les terres des Indiens, tue les bisons et leur enlève ainsi leur seul moyen de subsistance, refusant de les employer dans les ranchs , en disant que tous les Indiens sont une bande de nomades paresseux », dénonce Russel. « Bref, ils sont devenus des exilés dans leur propre pays !»

La dernière chevauchée

Le 24 octobre 1926, alors qu'il rentre d'une longue promenade à cheval, le peintre succombe à une crise cardiaque, à l'âge de 62 ans, à son domicile de Great Falls (Montana). En prévision de Noël, il venait de dessiner une carte postale le montrant chevauchant dans la neige aux côtés d'un autre cavalier, symbolisant la mort, avec lequel il passait un accord concernant sa volonté de continuer à vivre. Le jour des obsèques de Charles Russell, les écoles de la ville suspendent les cours, afin de permettre aux enfants de regarder passer le cercueil du « cow-boy artist ». Celui-ci est disposé dans une voiture vitrée, tirée par quatre chevaux à la robe noire, comme le souhaitait le peintre. Parmi les porteurs,Young Boy, l'un de ses amis Indien Cree de longue date, car Russell était membre de la confrérie des Elans, The Elks. Mais, aussi Horace Brewster, contremaître du ranch où l'artiste avait travaillé dans sa jeunesse, et Charles Biel, un peintre de la jeune génération. Tous deux chevauchaient derrière le corbillard, tenant par la bride un cheval portant la selle et les éperons de Charles Russell. Ecrivain à ses heures et réputé pour son éloquence, Charles Russell avait un jour déclaré :« La différence entre un crayon et un pinceau est infime, mais je pense que celui qui transforme les mots en images est le plus grand des hommes.» En la matière, Charles Russell a fait preuve d'un immense talent, sans chercher le pittoresque à tout prix. D'une part, en veillant, dans ses tableaux, à restituer les empreintes laissées sur le sol par les animaux et les hommes et, dans le ciel, par les signaux de fumée. D'autre part, en peignant des personnages jamais idéalisés, parfois faibles, malicieux, voire sauvages, mais faisant toujours preuve d'une réelle noblesse. 

Herve CIRET

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