L'impressionniste du vieil Ouest
Si
son nom est moins souvent cité lorsqu'on évoque les grands peintres
de l'Ouest, ce Californien est pourtant réputé pour être l'un des
plus célèbres illustrateurs américains de l'âge d'or. Dans les
années 1930-1960, il réalise de nombreuses couvertures pour les
magazines new-yorkais les plus prestigieux. L'Ouest sauvage
constituant l'une de ses deux passions, avec le monde maritime,
Harold Von Schmidt puise dans ses souvenirs de jeunesse, lorsqu 'il
était apprenti cow-boy, pour restituer des scènes d'un réalisme
saisissant, en ménageant habilement le suspens. Car, aime-t-il à
répéter, "ce
qu'il faut peindre, c'est l'impression."
C'est
son grand-père, arpenteur, ayant accompagné les Forty-Niner,
ces prospecteurs de la ruée vers l'or, en Californie, au milieu du
XIXe siècle, qui transmet sa passion du Far-West au jeune Harold Von
Schmidt. Ce dernier naît le 19 mai 1893, à Almeida (Californie),
d'un père, capitaine de navire marchand à voile et d'une mère,
danseuse d'origine australienne, sa seconde épouse. En 1899, ses
retrouvailles avec son aïeul, âgé de quatre-vingt ans, font suite
à un drame familial. Un an plus tôt, alors qu'il n'a que cinq ans,
Harold, cadet d'une fratrie de cinq enfants, perd ses parents, dans
un accident. Placé dans un orphelinat, avec l'un de ses plus jeunes
frères et séparé du reste de sa famille, il doit apprendre à se
défendre pour se protéger et se bagarre souvent avec les autres
pensionnaires. Mais, Harold commence aussi à dessiner, des cow-boys
et des chevaux, pour épater ses camarades. Lorsque son grand-père
le sort de l'orphelinat, il l'encourage à peindre en lui offrant un
nécessaire à aquarelle. Avant de faire ses preuves, au sein de la
California
School of Arts and Crafts
de Berkeley, le jeune Von Schmidt effectue des « petits
boulots » : ouvrier dans une exploitation forestière et
sur la construction d'un barrage, manutentionnaire dans une gare de
marchandises, puis cow-boy à tout faire. « Je
suis né au bon endroit et au bon moment »,
soulignera plus tard l'illustrateur. « Le
vieil Ouest existait encore et j'ai eu la chance d'être avec des
indiens et, comme cow-boy, d'arpenter les pistes et d'apprendre à
connaître le bétail et les chevaux. »
L'apprentissage
auprès de peintres de l'Ouest
En
1919, après avoir étudié durant un an et demi à l'école des
Beaux-Arts et de l'artisanat de
Berkeley,
Harold Von Schmidt découvre que le peintre Maynard Dixon possède un
atelier, près de San Francisco (Californie), qu'il ouvre aux
amateurs. L'apprenti artiste le convainc de le laisser l'assister
dans la réalisation d'une fresque murale, en échange de conseils.
Autodidacte devenu un affichiste reconnu et fortement influencé par
le courant impressionniste européen, Dixon délaisse à cette époque
l'illustration pour se consacrer à la peinture sur le motif, dans
les étendues désertiques du sud-ouest des Etats-Unis, en valorisant
la figure du cow-boy. Sa période d'apprentissage
avec Dixon sera déterminante pour le jeune Harold. Dans la foulée,
il obtient son premier emploi rémunéré dans une équipe d'artistes
travaillant dans un agence de San Francisco, qui conçoit des
affiches pour des panneaux publicitaires. Un emploi qui l'amène à
créer des images ayant un fort impact sur le public.
En
1924, alors âgé de trente et un ans, Harold Von Schmidt part pour
la côte Est, où il intègre la Grand
Central School of Design de New-York,
sous la direction du peintre Harvey Dunn. Ce dernier est issu d'une
famille de fermiers du
Dakota du Sud
et est un ancien élève d'Howard Pyle, l'un des grands illustrateurs
américains du moment, dont les premiers tableaux sont fortement
inspirés de l'Ouest. Harvey Dunn enseigne à Von
Schmidt la nécessité de conjuguer force dramatique et respect de la
réalité, pour rendre ses illustrations les plus impressionnantes
possibles. Des conseils qui influenceront durablement le style
d'Harold Von Schmidt.
Ses
débuts d'illustrateur
En
1927, désirant s'éloigner des grandes villes, Harold Von Schmidt
déménage à Westport (Connecticut), où il travaille pour de grands
magazines : Collier’s
Weekly,
Cosmopolitan, Liberty, The Saturday Evening Post et Sunset.
Il réalise des illustrations ayant pour cadre la conquête de
l'Ouest : convois de pionniers et de bétail, duels au revolver,
attaques d'indiens et de diligence, charges et patrouilles de la
cavalerie US, chercheurs d'or en prospection au bord d'une rivière.
Mais, quand le « Saturday
Evening Post »
essaie de cantonner Von Schmidt dans la réalisation de couvertures
sentimentales, ce dernier s'y oppose. Il préfère réaliser des
centaines de peintures à l'huile, plutôt qu'une dizaine de
couvertures de magazines. «
Si je dessine et peins des tableaux en extérieur et non en atelier,
c'est pour acquérir de l'expérience et des connaissances qui me
servent de références, sur la forme et la couleur d'un lieu et des
gens qui y vivent ou le traverse », explique
le peintre.
« Le monde réel est pour moi une référence qui m'aide à
traiter une variété de sujets et me permet de maintenir mon intérêt
pour l'illustration. » Dans
sa recherche d'authenticité, Von Schmidt est secondé par son épouse
Forest, qu'il surnomme affectueusement « Reb », en raison
de son accent du Sud de l'Indiana, dont elle est originaire. Celle-ci
lui procure les accessoires et les costumes qui lui servent de
modèles, tout en lui apportant son regard critique sur ses
illustrations.
L'art
de saisir l'instant
Les
expériences vécues par Von Schmidt, durant sa jeunesse, en tant que
cow-boy et ouvrier en bâtiment, lui apportent une bonne connaissance
de la manière dont se déplacent un homme, un animal ou une machine.
Ainsi, l'artiste est-il en mesure de décrire avec exactitude
comment un cavalier se comporte à cheval ou comment une roue de
chariot se brise, en heurtant un rocher. Il met ses connaissances au
service d'une scène, afin de la rendre la plus réelle possible et
ainsi attirer la curiosité du spectateur. C'est pourquoi, dans ses
illustrations, Harold Von Schmidt ne propose jamais une action en
train de se terminer, afin de laisser celui qui les regarde imaginer
la suite. « Comme
les peintres, nous devons toujours nous rappeler que l'esprit est
plus important que le fait »,
aime à souligner l'impressionniste du vieil Ouest. « Quand
vous vous promenez et que vous vous arrêtez une seconde pour
regarder la beauté du jour, c'est ce qu'il faut peindre –
l'impression. C'est quelque chose que vous ressentez. L'artiste doit
saisir et garder cette qualité qui provoque son émotion. »
C'est
pourquoi, Von Schmidt s'avère l'interprète idéal pour illustrer
les romans des écrivains de l'Ouest. Comme, en 1927, « Death
Comes for the Archibishop » de
la romancière Willa Cather, pour lequel il réalise 60 illustrations
dont il restera très fier, devenues des classiques du genre,
aujourd'hui très prisées des collectionneurs. L'histoire d'un
ecclésiastique d'origine française, qui va à la rencontre de ses
paroissiens, dans les paysages désertiques du Nouveau-Mexique. Ou
encore,
« Indian
Gold » (1933),
d'Orin
Mack, racontant les aventures de deux orphelins en 1882, en
Californie, allant à la rencontre des Indiens Paiutes. Mais, aussi,
« Homespun »
(1937) d'Erick Berry, roman destiné à la jeunesse, sur la vie de la
frontière.
Un
artiste reconnu et honoré
En
1944, durant la Seconde guerre mondiale, Harold Von Schmidt se porte
volontaire pour servir, en tant qu'artiste correspondant de guerre,
dans l'armée de l'air américaine. Il participe à des missions
opérationnelles, à bord de bombardiers de l'US Air Force, en
Europe, et témoigne des premiers jours de l'occupation américaine
au Japon. Au lendemain de la guerre, en tant que membre fondateur des
Famous
Artists Schools, dans
le cadre de cours animés par des artistes renommés, Von Schmidt
partage sa connaissance de l'illustration avec un large public. De
son vivant, le peintre se voit également attribuer de nombreuses
distinctions et récompenses. En 1959, il est élu au Hall
of Fame de
la Société
des Illustrateurs,
dont il avait été le président de 1938 à 1941. En
1968, il est le premier artiste récompensé par la médaille
d'or du National
Cow-Boy Hall of Fame and Western Heritage Center
de la ville d'Oklahoma, « pour
sa contribution à l'art, pour avoir été un exceptionnel professeur
et un grand peintre de l'Ouest. »
Harold von Schmidt est également élu membre de l'American
Indian Defense Association.
Il meurt le 3 juin 1982, à Fairfield (Connecticut), à l'âge de 89
ans. Quelques années avant sa disparition, le peintre avait avoué
n'avoir aucun regret. «
J'ai connu suffisamment d'expériences qui satisferaient n'importe
quel homme sur Terre. Aussi, je me contenterai de paraphraser mon
vieil ami, Charlie Russell (voir American Legend n° 12), qui disait,
à la fin de sa vie, « A chaque fois que je tente ma chance, je
gagne. »
Herve CIRET
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