Charles Schreyvogel (1861-1912)

Le chantre des chevauchées héroïques



Paradoxalement, ce n'est pas l'attrait de ses paysages qui amène Charles Schreyvogel à s'intéresser à l'Ouest américain. Même si les médecins lui conseillent les bienfaits de l'air sec de ses contrées, en raison de son asthme chronique. L'Ouest vient à lui avec le Wild West Show, le spectacle équestre itinérant de Buffalo Bill, alors qu'il vit dans l'Est et est âgé d'une trentaine d'années. 

Né dans le Lower East Side à New-York, le 4 janvier 1861, au sein d'une famille de modestes commerçants d'origine allemande, Schreyvogel montre très tôt des dons pour le dessin. Sa famille déménageant à Hoboken, dans le New-Jersey, il devient apprenti chez un graveur. A vingt-six ans, comme d'autres artistes américains avant lui, Schreyvogel part en l'Allemagne étudier à l'Académie Royale de Munich, où vit l'une de ses tantes. De retour aux Etats-Unis, trois ans plus tard, le jeune peintre vit de son art de manière précaire, en réalisant des illustrations pour des publicités et en sculptant des figurines en ivoire. A l'été 1893, il finit par réaliser son rêve : se rendre dans l'Ouest. 

Durant cinq mois, Schreyvogel séjourne dans des réserves indiennes, au sud du Colorado et en Arizona. Il y réalise des esquisses, prend des photographies, s'initie au langage des signes et apprend à monter à cheval. Il en profite pour faire l'acquisition d'armes à feu, de costumes indiens et de divers équipements de cavalerie qu'il ramène dans son studio de Hoboken, sur la côte Est.

Le début du succès

Les années s'écoulent, entrecoupées de nouvelles excursions dans l'Ouest, notamment, dans des réserves indiennes au Dakota et au Montana. Artiste, mais aussi historien, Schreyvogel s'appuie sur des documents officiels décrivant les événements qu'il choisit de peindre. Après avoir élaboré la composition de ses tableaux, il en modèle les personnages en terre cuite et peint sur le toit de son atelier, avec des palissades en bois pour arrière-plan. "Leur aspect déchiqueté", fait-il alors remarquer, "n'est pas différent de celui des montagnes de l'Ouest"

Désormais, peindre des scènes de la vie au Far-West devient son principal centre d'intérêt. Mais, malgré le style dynamique qui caractérise ses oeuvres, le peintre ne rencontre pas le succès escompté et ses tableaux ne se vendent pas. 

Il lui faut attendre l'âge de 38 ans, en 1899, pour se faire remarquer avec ce qui demeurera son chef-d'oeuvre, "My Bunkie" (ci-contre). Une toile initialement refusée par un publicitaire, car impossible à réduire au format d'un calendrier. Ce qui décide Schreyvogel à la présenter à une exposition. Véritable hymne à l'héroïsme militaire, ce tableau décrit un incident rapporté, quelques années plus tôt, lors d'un de ses voyages dans l'Ouest. Un soldat de la cavalerie américaine, sur un cheval au galop, rattrape l'un de ses compagnons ayant perdu sa monture, pendant que deux autres cavaliers armés de fusils assurent leur protection. Aujourd'hui propriété du Metropolitan Museum of Art de New-York, l'oeuvre est unanimement saluée, à l'époque. Lors de l'exposition de la National Academy of Design, elle se voit décerner le prix Thomas Clarke, qui récompense la meilleure composition picturale. L'année suivante, le tableau obtient un prix à la Pan American Exposition de Buffalo et même à l'exposition universelle de Paris. 

Furieuses cavalcades

Même s'il a occasionnellement illustré des thèmes indiens, la majorité des toiles de Schreyvogel ont pour sujet les soldats de l'armée américaine sur les frontières de l'Ouest. Ce qui fait de lui le véritable chantre de la cavalerie US. Ses tableaux racontent des histoires mouvementées dans lesquelles des hommes de troupe sont confrontés à des actions violentes peintes avec réalisme : charge brutale, combat intense, tension de l'effort fourni. Schreyvogel peint ses personnages de manière plus appuyée que Frederic Remington, à l'époque considéré comme "le plus fameux des illustrateurs de l'Ouest", avec lequel une rivalité se profile. 

C'est un autre célèbre tableau de Schreyvogel, "Custer's demand" (ci-contre) - aujourd'hui visible au Gilcrease Museum de Tulsa (Oklahoma) - qui va déclencher la polémique entre les deux artistes. Peinte en 1902, la toile décrit les pourparlers du général George Custer et de son état-major, avec les Indiens des plaines commandés par Lone Wolf, Satanta et Kicking Bird. La scène est censée se dérouler dans le sud-ouest du Kansas, au cours de l'automne et de l'hiver 1869. Après avoir été exposée dans une galerie de New-York, l'oeuvre est abondamment reproduite dans les journaux et les magazines américains. Frederic Remington est-il jaloux de l'attention portée à Schreyvogel ? Toujours est-il qu'il lance une polémique dans la presse, reprochant à l'auteur du tableau d'être très approximatif dans la représentation des vêtements et équipements des personnages qui y figurent : forme de l'étui d'un pistolet, aspect d'une cartouchière, couleur des chapeaux, bottes et pantalons d'officier de cavalerie, nature des protèges étriers et modèle de coiffe de guerre Sioux.

Elizabeth Custer, la veuve du général représenté sur le tableau, vient à la rescousse de Schreyvogel : "J'ai été impressionnée par la fidélité de la ressemblance et les tenues des Indiens, avec lesquels je suis familière, spécialement la coiffe de guerre et le bouclier, les deux ayant été présentés à mon époux par des chefs à cette époque", écrit-t-elle. "Le tableau est aussi dépourvu de sensationnalisme et si inspiré, que je vous le recommande pour son habileté." Tout en faisant remarquer que, durant cette campagne dans les plaines de l'Ouest, une grande liberté était laissée dans le choix des uniformes de la cavalerie. Egalement représenté sur le tableau, le lieutenant-colonel John Schuyler Crosby, premier aide de camp de Custer, encore vivant à cette époque, prend également la défense de Schreyvogel.

Une reconnaissance tardive
 
Suite à cette polémique, le Président des Etats-Unis, Théodore Roosevelt, sympathise avec le peintre. Au point de l'autoriser à visiter les campements de l'armée dans les réserves Crows, Sioux et Utes, afin d'y effectuer des repérages. Ce qui lui permet d'assister à un rassemblement de plus de 10 000 Indiens Chippewa, Crows, Blackfeet et Sioux, sur la réserve de Standing Rock (Dakota du Sud). Cependant, malgré le soutien de poids du premier des américains, Charles Schreyvogel doit attendre le décès prématuré de son "rival" Frederic Remington, alors âgé de quarante-huit ans, en 1909 - soit dix ans après sa première peinture western - pour être reconnu aux Etats-Unis, comme "le plus grand illustrateur vivant du vieil Ouest américain"

A cette époque, la popularité d'un autre peintre réputé de l'Ouest, Charles Russell, n'est pas encore à son apogée. Mais, Schreyvogel ne profite pas longtemps de cette reconnaissance. Suite à une infection de la gencive causée par un os de poulet, le peintre meurt d'un empoisonnement du sang, le 27 janvier 1912, à l'âge de cinquante et un ans, à Hoboken, dans l'Est, où il a toujours vécu. 

Cependant, les nombreuses reproductions photographiques de ses peintures permettent de faire connaître son œuvre, dans la première décennie du XXe siècle. Notamment, les clichés en noir et blanc de trente-six de ses peintures publiées, en 1909, sous le titre "My Bunkie and others pictures of western frontier life". Certains modèles de ses personnages en terre cuite ayant servi à élaborer ses tableaux ont, par la suite, été fondus en bronze. Tels "The Last Drop" (ci-contre), montrant un cavalier donnant à boire à son cheval dans son chapeau, et "White Eagle", buste d'un chef Indien des plaines de la tribu Ponca. Schreyvogel est l'un des trois peintres de l’Ouest les plus réputés aux Etats-Unis. 

Herve CIRET

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