dimanche 12 juin 2016

L'étonnant périple artistique de deux globe-trotters


Charles Gleyre par Sébastien Cornu
Le peintre Charles Gleyre et l'amateur d'art John Lowell Junior n'ont jamais connu les vastes étendues de l'Ouest américain. Leur Far-West à eux, ce fut l'Egypte. Un territoire qu'ils ont parcouru, au début du 19e siècle, sur 1 500 kilomètres, en suivant les rives du Nil. Le musée d'Orsay à Paris relate certains épisodes de ce périple, à travers une exposition consacrée à Charles Gleyre. Ce peintre d'origine suisse et son compagnon américain, issu d'une célèbre famille de Boston, ont vécu une aventure peu commune, à une époque où la conquête de l'Ouest n'est pas encore achevée.

Nous sommes en 1834. Souhaitant se rendre en Orient avec un artiste capable de reproduire les sites archéologiques visités et les populations rencontrées, John Lowell Junior sollicite les services du jeune peintre helvète, alors en Italie. Depuis le 18e siècle, il est courant que des amateurs d'art fortunés et des artistes sans le sou s'associent. Les premiers prennent en charge les dépenses du voyage et l'achat des fournitures. En contre partie, les seconds leur cèdent la majeure partie de leur production.


John Lowell par Gleyre
Grâce au journal minutieux tenu par John Lowell Junior et à celui, plus épisodique, de Charles Gleyre, les historiens ont reconstitué les conditions du périple des deux globe-trotters. A la fin de l'année 1834, depuis Rome, via la Grèce et la Turquie, les deux hommes rejoignent l'Egypte. C'est là que le peintre réalise le portrait de son compagnon américain en tenue orientale (ci-contre). Débute aussitôt une exploration des rives du Nil, jusqu'au Soudan, qui va durer neuf mois. 

Sur un bateau prêté par le consul américain Gliddon, les deux hommes gagnent le Caire, avant de parvenir au pied des pyramides au début de l'année 1835. John Lowell Junior les escalade, les explore, les mesure. Deux mois plus tard, les deux voyageurs parviennent à Louxor et Karnak. Le peintre est émerveillé par la démesure de l'architecture pharaonique, par le chaos des ruines et la beauté de la lumière qui les éclaire. 

 
Aquarelle de Charles Gleyre
Mais, la santé de John Lowell Junior commence à se dégrader. Ce qui n'empêche pas ce dernier de continuer à prendre des notes sur la vie locale. Il en profite même pour acheter un bloc de granit provenant d'un sanctuaire d'une barque sacrée, datant du 3e siècle avant Jésus-Christ. Une pièce qui constituera la base des collections égyptologiques du musée de Boston, sa ville natale. Après un périple harassant à cheval et à dos de chameau, dans le désert, au coeur d'une chaleur étouffante, les deux voyageurs arrivent à Abou Simbel, où Charles Gleyre croque des dessins au crayon, parmi les plus anciens reproduisant ce site, aujourd'hui noyé par les eaux du barrage d'Assouan. 
 


Djebel Karbal au Soudan

En juillet 1835, la dernière étape de leur voyage les mène au Soudan. Une contrée pratiquement inexplorée à cette époque, excepté par le pionnier de l'égyptologie, Jean-François Champollion, l'un des rares à s'y être aventuré. Mais, des dissensions apparaissent entre les deux voyageurs. Le peintre suisse veut rentrer au Caire. Le fortuné américain, lui, veut poursuivre vers l'Inde, puis la Chine, terme de son périple. Lorsqu'ils arrivent à Khartoum, en novembre 1835, après un an et demi de route commune, les deux hommes se séparent en mauvais termes. A peine parvenu à Bombay, en mars 1836, John Lowell Junior, épuisé, décède à 37 ans, avant d'avoir atteint la destination finale de son voyage. 


Désargenté, victime d'une infection oculaire, Charles Gleyre met plus de deux ans à rejoindre la France, via le Liban et l'Italie. Durant les deux années qui suivent son retour, l'artiste est empêché par la famille Lowell d'accéder aux aquarelles réalisées en Egypte pour en faire des copies. Même si l'intensité du périple exceptionnel, accompli avec son compagnon américain, représente l'aventure de sa vie, Charles Gleyre n'est pas reconnu comme le peintre orientaliste qu'il aurait pu devenir. Une expérience pourtant hors du commun, qui distingue l'artiste suisse des autres peintres du milieu du 19e siècle, dont les plus courageux ne se sont pas aventurés, à l'époque, au-delà de la Turquie ou du Maghreb.

Exposition "Charles Gleyre, le romantique repenti" - Musée d'Orsay à Paris - Jusqu'au 11 septembre 2016

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