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jeudi 27 août 2015

Le Far-West tropical des cow-boys congolais


Dans les années 1950, les  westerns américains ont profondément influencé la jeunesse urbaine de la capitale du Congo Belge, Léopoldville, devenue Kinshasa en 1967, sept ans après l'indépendance du pays. Au point que des bandes, qui se nomment les "Bills" (en référence à Buffalo Bill) ou les "Yankees" (terme désignant les Américains), adoptent l'accoutrement et l'attitude de "dur-à-cuire" des cow-boys vus dans ces films. Leurs membres - qui comptent dans leurs rangs de rares femmes - se font appeler Arizona, John Wayne, Texas Bill, Pecos Bill ou Zorro. C'est ce que nous apprend la captivante exposition "Beauté Congo (1926-2015)" qui se tient à la Fondation Cartier à Paris, jusqu'au 15 novembre 2015. C'est Jean Abou Bakar Depara, d'origine Angolaise, réparateur d'appareils photos et d'horloges, qui a l'idée de mettre en scène leurs postures de "mauvais garçons", dans un studio improvisé, baptisé ironiquement "Jean Whysekys Depara". C'est le film "Buffalo Bill"(1944) de William Wellman, avec Joël McCrea et Maureen O'Hara, projeté en 1947, qui déclenche ce mouvement d'identification aux cow-boys de l'Ouest américain. Les westerns, "Les Desperados" (1943) de Charles Vidor avec Randolph Scott, "La Vallée maudite" (1947) de George Waggner avec le même acteur, "La Charge héroïque" (1949) de John Ford avec John Wayne, "Le Triomphe de Buffalo Bill" (1953) de Jerry Hopper avec Charlton Heston, deviennent des références pour les jeunes de la capitale congolaise. En  s'identifiant à ces héros de la conquête de l'Ouest, ils affirment leur rébellion face à une société coloniale qui commence à se désagréger. Pour eux, ces cow-boys de cinéma deviennent des exemples à suivre, et pas seulement pour leur attitude. 


Ainsi, dans les quartiers populaires, les "Bills" et "Yankees" jouent le rôle de "grands-frères" auprès des plus jeunes, ce qui leur attire la sympathie des religieux belges, dont l'influence est encore très grande à la veille de l'indépendance. Mais, rapidement, nos "cow-boys congolais" basculent dans la délinquance et les trafics en tous genres, en redistribuant autour d'eux le produit de leurs larcins. Ce qui les rend sympathiques dans la population, à la manière de Jesse James, sorte de "Robin des Bois"  de l'Ouest américain. Etrangement, c'est la récupération du mouvement par un missionnaire belge, Jozef de Laet, surnommé "Père Buffalo" (en référence à Buffalo Bill), qui met fin à ces bandes de cow-boys, au milieu des années 1960. Dans ses sermons, ce religieux va jusqu'à identifier le Christ à un "Grand Bill" justicier. Ce qui ne peut que séduire nos cow-boys avides de plus d'équité, en cette période post-coloniale. Les anciens "Bills" et "Yankees" de Kinshasa poursuivent leur carrière, dans la politique, l'armée, le sport et la musique. Première ville francophone au monde et l'une des plus peuplées d'Afrique, Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo, perpétue aujourd'hui les qualités de clairvoyance, de témérité et de débrouillardise que  ces "cow-boys" congolais avaient érigées en valeurs. 








Source  de cet article : "Le culte du cowboy et les figures du masculin à Kinshasa dans les années 1950" - Cahiers d'études africaines, n° 209-2010, 2013 - Charles-Didier Gondola.

A lire également dans "Matière à politique : le pouvoir, le corps et les choses", sous la direction de Jean-François Bayart et Jean-Pierre Warnier, le chapitre consacré à "La frontière diamantifère angolaise et son héros mutant".

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