lundi 15 septembre 2014

Buffalo Bill revu et corrigé par Eric Vuillard


Dans un récit, entre documentaire et fiction, Eric Vuillard  s'est intéressé au personnage de William Frédéric Cody, alias "Buffalo Bill" et à son spectacle du "Wild West Show" qui mettait en scène la conquête de l'Ouest. Un essai décapant sur ce personnage très controversé, inventeur de la reconstitution historique à grande échelle.

Pourquoi ce titre, "Tristesse de la terre" pour intituler un livre parlant de Buffalo Bill  ?

"Tristesse" est un tout petit mot, délicat, assez doux. Et "Terre" est un mot immense. Donc, le fait que les deux puissent d'accoler me touchait et cela décrivait bien la tonalité du livre.



Vous écrivez que tout ce qui touche à Buffalo Bill se change en carton-pâte et que c'en est désarmant, pourquoi ? 

Buffalo Bill a tout d’abord été éclaireur, il a également travaillé pour le Pony Express, c’est donc bel et bien un homme de l'Ouest, un aventurier de la Frontière. Mais, plus tard, il fit le récit des moments intrépides de son existence à Ned Buntline, un auteur de romans de quatre sous, qui dut agrémenter de toutes sortes de fadaises ce que Buffalo Bill lui avait raconté. Par la suite, une pièce à succès, inspirée des romans de Buntline, fut jouée à Broadway ; et le personnage de Buffalo Bill devint célèbre. Il partit alors pour New-York afin de reprendre son propre rôle. On a rarement vu pareille histoire ; Buffalo Bill s'est comme glissé dans sa propre peau, mais ce n'était déjà plus la sienne. Son personnage lui avait peu à peu échappé. 


Pourquoi vous êtes-vous intéressé à Buffalo Bill, la conquête de l'Ouest et les indiens ?

Il y a longtemps, j'ai eu le projet d'écrire une histoire des Etats-Unis, une histoire fragmentaire. Je ne suis pas allé au bout. Mais, tandis que je faisais toutes sortes de recherches pour ce livre, je croisais souvent Buffalo Bill. Par exemple, lorsque je m'intéressais à Théodore Roosevelt, j’apprenais qu’ils avaient été amis, lorsque je m’intéressais au chemin de fer, il était là de nouveau ; il revenait dans la vie de bien des gens de l'Ouest. On aurait dit que tous avaient, un jour ou l’autre, travaillé pour le Wild West Show, son spectacle itinérant. Si bien qu’un nouveau récit a cristallisé autour de ce personnage.

Selon vous, Buffalo Bill serait l'inventeur du "happy end" des histoires ?

L'une des formes rhétorique les plus usuelles des films américains, c'est le "happy end". Et cette formule a une dette envers le Wild West Show. L’un de ses épisodes célèbres fut une mise en scène de la bataille de Little Big Horn. Buffalo Bill au fur et à mesure des représentations, en modifia l’histoire. Les spectateurs n’aimaient pas la fin, car les américains perdent la bataille ; il fallait trouver autre chose. Buffalo Bill a donc inventé un "happy end" où lui-même sauvait le général Custer. Il mit en scène cette bataille peu de temps après les évènements, c’était pour ainsi dire de l'actualité, pas au même titre que notre journal télévisé, mais c’était, disons, une forme approchante
A cette époque, dans l'Ouest, on préférait la légende à la réalité ?
 
L'Amérique est un pays jeune, son rapport à la légende n'est donc pas le même que le nôtre. C'est quelque chose de plus brûlant. Dans L'Homme qui tua Liberty Valence, on entend une première critique du mythe, mais une critique pleine d’empathie, conciliante. En revanche La porte du paradis de Michael Cimino, qui évoque le massacre de colons venus d’Europe de l’Est par des américains, et où l'un des personnages dit : il n'a jamais fait bon être pauvre dans ce pays, est une charge plus puissante.

Êtes-vous vous-même un amateur de westerns ?

Oui, de ceux de  Ford, de Hawks, et de bien d’autres. Mais, je n'aime pas le western pour le western, je me fiche des genres. 
 
 

En lisant votre livre, on oscille entre documentaire et fiction...
 
Le rapport au monde change sans cesse et le nom de « récit », et non pas de « roman », que je donne à mes textes, est le nom d’une sorte de crise. Cela fait longtemps, il me semble, que le nom propre d’un personnage, comme Gavroche ou Rastignac, ne s'est plus inscrit dans la mémoire collective ; je pense que cela correspond à une démonétisation des noms propres et de l’imaginaire. Ce n'est pas pour rien que depuis une bonne vingtaine d'années des auteurs sont attirés par l'Histoire. Les noms de l'Histoire sont encore auréolés de quelque chose. Or, un des rôles de la littérature consiste à nous dégriser de la fable, à égratigner l'auréole. Alors, évidemment, il y a un double jeu de l’écriture. On est attiré, en tant qu'écrivain, par le mythe, et l’on désire en même temps le défaire. C’est comme un arbre de Noël qu’on voudrait secouer pour faire tomber les guirlandes.
 
Vous faites allusion au poète-manadier camarguais, Folco de Baroncelli, qui a créé les traditions gardiannes...

 
« Quand le folklore est là, c'est que la tradition est morte », écrivait Marcel Mauss. Avec Buffalo Bill, la tradition se fait spectacle. C'était amusant de raconter comment dans un des lieux où une tradition persiste, la Camargue, cette tradition vient, en partie, du spectacle de Buffalo Bill dont elle s'est inspirée. Tout comme les bisons du parc de Yellowstone, aux Etats-Unis, ne sont pas les descendants de bisons sauvages, mais de bisons  ayant joué pour le Wild West show. 

 
Photo et propos recueillis par Herve CIRET lors du Festival America 2014

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